Accident de décompression

 vendredi 1er octobre 2021  |  Octobre 2021  |  0 Commentaires
   Dr Michel NAHON , Dr Dorian WOLF , Dr Fabrice BERTHENET , Dr François DUPAS , Dr Nordine NEKHILI

 Introduction

 La maladie de décompression survient dès lors qu’une diminution rapide de la pression atmosphérique s’exerce sur le corps humain. Beaucoup d’accidents sont dus à la haute pression, en profondeur elle est générée par la hauteur d’eau s’ajoutant à la pression atmosphérique de surface.
À 10 m de profondeur, l’eau de mer exerce une pression équivalente à la pression atmosphérique standard au niveau de la mer qui est de 1,03 kg/cm2, 760 mmHg, ou 1 atmosphère absolue (atm abs) et donc, la pression totale à cette profondeur est de 2 atm abs. Chaque palier supplémentaire de 10 m de profondeur ajoute 1 atm de pression.
La quantité de gaz inerte (azote, hélium …) dissout dans le sang augmente avec la pression ambiante. (Loi de Henry)
Quand la pression environnante diminue lors de la remontée, des bulles (principalement azote) peuvent se former. Les bulles de gaz peuvent apparaître dans n’importe quel tissu et entraîner des symptômes localisés ou atteindre des organes éloignés par voie sanguine (embolie gazeuse artérielle). Les bulles entraînent les symptômes en obturant les vaisseaux par rupture ou par compression des tissus, en induisant des lésions endothéliales et une extravasation du plasma, ou en activant les cascades de l’inflammation et de la coagulation. L’azote se dissolvant facilement dans la graisse, les tissus présentant un taux élevé de lipides (p. ex., le système nerveux central) sont particulièrement sensibles.
Ces processus sont responsables des signes cliniques musculo squelettiques et parfois de lésions vitales neurologiques, pulmonaires ou vasculaires.

Etape ou pallier de décompression en plongée

 Les circonstances de survenue ne se limitent pas au classique accident de plongée en eau profonde, mais également à la sortie d’une séance de caisson hyperbare, mais aussi chez des employés travaillant dans des tunnels ou des caissons (structures étanches utilisées dans la construction) dans lesquels de l’air sous pression est utilisé pour éliminer l’eau des sites de travail et maintenir en partie la structure en cours de construction, ou lors une (re)montée en altitude trop rapide...

Tunnelier - travaux du Grand Paris

 Facteurs de risque

La maladie de décompression survient dans environ 2 à 4/10 000 plongées chez les plongeurs amateurs. L’incidence est plus élevée chez les plongeurs commerciaux, qui présentent souvent des lésions musculo-squelettiques mineures. Les facteurs de risque comprennent tous les éléments suivants :
 Plongées en eau froide
 Déshydratation
 Effort après plongée
 Fatigue
 Voler après une plongée
 Obésité
 Grand âge
 Plongées prolongées ou profondes
 Remontées rapides
 Shunts cardiaques droit-gauche

Comme l’azote en excès reste dissout dans les tissus pendant au moins 12 heures après chaque plongée, les plongées répétées sur 1 jour exposent à la maladie de décompression. La maladie de décompression peut également se développer si la pression diminue en-dessous de la pression atmosphérique (p. ex., après une exposition à l’altitude).

 Régulation de l’appel au 15

 Tout accident de décompression suspecté nécessite un examen médical détaillé et horodaté. Le diagnostic est clinique et l’examen médical initial recherchera les signes d’atteinte cutanée, articulaire ou vasculaire voire cardio circulatoire, respiratoire, médullaire ou encéphalique dans les cas les plus grave.
 les symptômes sont parfois différés de quelques heures à 24-48h, la surveillance en milieu hospitalier est la règle
 l’oxygénothérapie normo voir hyperbare est indiquée sur des arguments cliniques, tout comme le transport médicalisé et l’orientation hospitalière : urgences, réanimation, centre spécialisé de recompression par Caisson Hyperbare (CHB).
 il est logique que chaque SAMU confronté à la prise en charge d’accident de décompression sur son département mette en place une procédure spécifique visant à vérifier de façon périodique la disponibilité du (des) CHB de secteur et l’activation du transport héliporté de jour comme de nuit en cas d’éloignement du CHB. Le transport sanitaire en aéronef est possible. Si une évacuation par voie aérienne est nécessaire, un avion pressurisé à 1 atmosphère est préféré. Dans les avions non pressurisés, une basse altitude (< 609 m) doit idéalement être maintenus et de l’oxygène administré en continu. Les aéronefs des compagnies aériennes commerciales affichent systématiquement une pression de cabine équivalente à 2438 m ce qui peut accentuer les symptômes. Prendre un vol commercial peu de temps après une plongée peut déclencher les symptômes.

 Mise en condition initiale

 Dans tous les cas ou la décompression est suspectée, débuter une oxygénothérapie normobare à haut débit et quelle que soit la valeur initiale de la SpO2 en AA. L’objectif est de saturer le sang en O2 et ainsi déplacer le gradient de pression alvéolo capillaire en Azote et résorber les bulles embolisées.
 Sécher et réchauffer passivement le patient le cas échéant,
 Immobiliser les fractures
 Ne pas retarder le bilan au SAMU par des procédures non essentielles
 Hydrater per os par petites gorgées lorsque l’état de conscience le permet et présentant des manifestations bénignes. Les liquides IV isotoniques et sans glucose sont indiqués en cas de manifestations graves.
 Ne pas placer le patient en position déclive - pas de Trédelenburg , du fait du risque d’augmentation de la PIC et d’aggravation des lésions de la barrière hématoencéphalique.

 Diagnostic

Interrogatoire du patient ou de l’entourage

 Toute situation de variation brutale de la pression environnante (dépression)
 Non respect des essentiels paliers de décompression (détoxication azotée insuffisante)
 Décompression inadéquate ou dépassement des limites de non-décompression (durée et profondeur et fréquence des plongées).
 Vol ou escalade en altitude dans les suites immédiates (12-24 h) d’une plongée (augmente le gradient de pression)
 Rechercher des facteurs aggravants : tabagisme, prise d’alcool la veille de la plongée, exposition au froid, hypothermie après la plongée, antécédents de maladie de décompression.

Signes cliniques

Plus les signes surviennent précocement, plus l’accident est grave.
Les symptômes graves se manifestent donc en quelques minutes après le retour en surface, mais, chez la plupart des patients, ils apparaissent progressivement, parfois précédés d’une sensation de malaise, de fatigue, d’anorexie et de céphalées.

Les symptômes apparaissent dans l’heure qui suit le retour en surface chez 50% des patients et dans les 6 heures chez 90% d’entre eux, avec un délai moyen à 62 minutes.
Exceptionnellement, les symptômes se manifestent 24 à 48 heures après le retour en surface, notamment après une plongée suivie d’une montée en altitude (comme un voyage aérien).

Signes cutanés, articulaires, musculaires


 Douleurs multiples, sourdes, profondes, lancinantes résolutives en moins de 10 minutes. L’épaule est l’articulation la plus souvent atteinte. L’évolution parfois progressive de ces douleurs articulaires est parfois faussement rassurante, la victime mettant les douleurs sur le compte d’une simple fatigabilité musculaire liée à l’effort. Attention au déni de l’accident de décompression : "ça va passer, docteur !"
 prurit, sensation de brûlure cutanée sans lésions visibles
 puces et moutons, livedo, marbrures ou "cutis marmorata"
 douleurs musculaires, tendineuse ou articulaires : "bends". Les douleurs musculaires concernent les membres supérieurs 3 fois plus souvent que les membres supérieurs. Les douleurs musculaires peuvent parfois masquer les signes neurologiques d’une forme plus grave donc.

Cutis Marmorata in Decompression Sickness
Vasileios N. Kalentzos, M.D., M.P.H.
June 10, 2010
N Engl J Med 2010 ; 362:e67
DOI : 10.1056/NEJMicm0909444
Signes ORL

 Troubles de l’équilibre périphérique, vertige, nausées
 Douleurs dentaires parfois intolérables

Signes neurologiques cérébro médullaires


 Convulsions
 Dysesthésies des extrémités
 Trouble de la vue uni ou bilatéral, amaurose, restriction de l’acuité visuelle, scotome
 Trouble de la parole, aphasie,
 Vertiges d’origine centrale, syndrome vestibulaire harmonieux, nystagmus, Romberg latéralisé
 Lésions médullaires suspendues, syndrome de Brown Sequard, ou distales (atteintes dorsolombaires les plus fréquentes)
 Troubles moteurs, monoplégie, hémiplégie, paraplégie
 Troubles sphinctériens
 Troubles sensitifs superficiels ou profonds (péjoratifs)
 Globe vésical sur vessie neurogénique

Signes cardio circulatoire


 Œdème lymphatique (aspect de piqures cutanées indolores)
 CIVD
 Ouverture d’un foramen ovale perméable (prévalence de 30% dans la population générale)
 Syndrome coronarien aigu par bulle intra coronaire
 HTAP
 Troubles du rythme supra et ventriculaires (FV)
 Insuffisance circulatoire aiguë
 Etat de choc cardiogénique
 Arrêt cardiaque

Signes digestifs


 Nausées, vomissements
 Diarrhée

Classification clinique

Accidents de type 1 (bénin)

 Signes cutanés (prurit, exanthème)
 Douleurs articulaires aiguës

Accidents de type 2 (grave)

 Signes d’atteinte de l’oreille interne (vertiges, acuité auditive)
 Signes neurologiques focaux déficitaires (hémi, para plégie)

Bilan para clinique

L’accident de décompression est un diagnostic clinique. Il n’existe pas à ce jour une examen biologique ou para clinique attestant le diagnostic.

Bilan de routine

 Monitorage de la SpO2,
 mesure de la Glycémie,
 mesure du CO / HbCO

 ECG (ne pas hésiter à répéter en cas de douleur thoracique d’allure non mécanique)

Biologie embarquée à la recherche de :
 hémoconcentration
 CIVD

FAST écho en cas de traumatismes associés

Transthoracic echocardiogram demonstrating a patent foramen ovale

 Orienter le patient vers un centre disposant d’une IRM et d’un CHB avec USI / réanimation

 Signes aggravants

 Hypothermie (la vasoconstriction retarde la détoxication azotée)
 Retard au diagnostic et à la prise en charge médicale
 Foramen ovale perméable (risque cérébrovasculaire direct)
 Évacuation en aéronef avec pression cabine > pression du niveau de la mer

 Traitement

Thérapeutique symptomatique

 O2 normo bare en FiO2 100%
 Voie veineuse périphérique avec NaCl 0.9% ou ringer lactate 1 à 2 ml/kg/h
 En accord avec le médecin hospitalier receveur, envisager l’acide acétylsalicylique (aspirine) 500mg en l’absence de traumatismes à potentiel hémorragique

Thérapeutique spécifique

Type 1

 Oxygénothérapie normobare et simple surveillance si signes cutanés isolés
 OHB en cas de lésions articulaires (à visée antalgique)

Type 2

 O.H.B. traitement étiologique :

  • lutte contre l’hypoxie périphérique
  • réduit l’importance des bulles
  • augmente la vitesse de dissolution du gaz diluant
Caisson hyperbare de repressurisation
Ventilation invasive

 L’intubation / ventilation mécanique est indiquée dès lors que l’hémathose n’est pas obtenue par les moyens d’oxygénothérapie classique (MHC)

Exsufflation à l’aiguille et drainage

la décompression à l’aiguille sera envisagée en cas de pneumothorax compressif, mais aussi le pneumothorax simple, le drainage étant réalisé dans la foulée.

NB : la ponction exsufflatrice à l’aiguille peut être envisager en cas de trouble circulatoire secondaire associé du fait du fort potentiel évolutif du pneumopéritoine sur rupture d’organe creux.

 Surveillance

 Pression artérielle, fréquence cardiaque, scope, signes de choc
 Fréquence respiratoire, SpO2.
 Conscience, Glasgow, examens neurologiques rapprochés.
 Importance de répéter l’examen clinique et tout particulièrement neurologique et ECG
 Diurèse

 Critères de transport non médicalisé

 lorsque l’analyse des circonstances et l’examen clinique complet éliminent les lésions neurologiques ou respiratoires ou tout autre signe de gravité
 la destination hospitalière est proche
 le patient est orienté vers un plateau multidisciplinaire adapté à la prise en charge initiale des accidents de décompression

 Critères de transport médicalisé

 Dans tous les autres cas de circonstances ou d’anomalie de l’examen clinique
 le transport médicalisé étant décidé sur des critères cliniques même en l’absence de détresse vitale
 le patient est toujours orienté vers un plateau multidisciplinaire adapté aux accidents de décompression, avec idéalement une disponibilité de l’IRM, du CHB et d’un lit de réanimation.

Dans tous les cas de d’accident de plongée avec transport médicalisé ou non, il sera important de transporter l’équipement de plongée afin de diagnostiquer la nature du problème mécanique le cas échéant : défaut de détendeur, de régulateur, contamination au CO...

 Critères d’oxygénothérapie hyperbare - Caisson hyperbare

 tout accident de décompression sera systématiquement proposé au centre spécialisé et le médecin responsable du CHB déterminera avec le médecin régulateur du SAMU si les symptômes sont bien liés à l’accident de décompression et si la thérapie HBO est appropriée.

 Il est logique de rapprocher tout patient sans signe de gravité mais suspect d’un accident aigu de décompression d’un centre ayant un plateau technique polyvalent avec CHB

 Tous les Types 2 sont orientés vers un CHB avec accès à un lit de soins continus ou de réanimation.

 Références

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