- Introduction
- 1 - Quels sont les mécanismes de régulation de l·équilibre acide-base et quelle classification (…)
- 2 - Quelles sont les conséquences de l·acidose métabolique ?
- 3 - Quels sont les effets bénéfiques et délétères des solutés tampons ?
- 4 - En dehors des solutés tampons, quels sont les autres moyens de correction de l·acidose (…)
- 5 - Quand et comment corriger une acidose métabolique en réanimation ?
XIXe CONFÉRENCE DE CONSENSUS EN REANIMATION ET MEDECINE D’URGENCE
Correction de l’acidose métabolique en réanimation
Jeudi 10 juin 1999
Avec la participation de :
la Société Française d·Anesthésie et de Réanimation, la Société Francophone d·Urgences Médicales, le Groupe Francophone de Réanimation et Urgences Pédiatriques, le Samu de France, la Société Française de Nutrition Entérale et Parentérale, la Société de Néphrologie
Conférence organisée avec l’aide des laboratoires :
Bayer-Pharma, Bristol-Myers Squibb, Fresenius France Pharma, GlaxoWellcome, LFB, Pfizer, Rhône-Poulenc Rorer (France), Roche, Sanofi, SmithKline-Beecham, Wyeth Lederlé. Â Â
Jury du Consensus
Président : Y. Castaing (Bordeaux)
C. Bengler (Nîmes), B. Delafosse (Lyon), B. Delaporte (Le Havre), L.J. Dupré (Chambéry), F. Feihl (Lausanne), J.C. Mercier (Paris), F. Plouvier (Agen),A. Rabbat (Paris), M. Slama (Amiens), M. Wolff (Paris)
Conseillers scientifiques : X. Leverve (Grenoble), C. Perret (Lausanne)
Recherche bibliographique : S. Beague (Lille), S. Nseir (Lille)
Organisateur local : Fabienne Saulnier (Lille)
Bureau du Consensus
Coordonnateur : F. Saulnier (Lille),
L. Beydon (Angers), G. Bonmarchand (Rouen), P. Charbonneau (Caen), J.L. Diehl (Paris), J.Y. Fagon (Paris), H. Gastinne (Limoges), P. Jouvet (Paris), D. Robert (Lyon), R. Robert (Poitiers), U. Siméoni (Strasbourg)
Cette conférence a été organisée et s’est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES) qui lui a attribué son label de qualité.
Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le Jury de la Conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en aucune manière la responsabilité de l’ANAES.
Introduction
L’acidose métabolique réalise plus un désordre métabolique qu’acido-basique pur. Très fréquente chez le malade en détresse, son diagnostic biologique semble simple alors que son diagnostic étiologique et les indications de correction sont souvent beaucoup plus difficiles.
Le niveau de preuves sur lequel s’est appuyé le jury et la force des recommandations ont été classés en fonction des règles de la SCCM 1997 :
– Score d’évaluation des références
- (a) Etudes prospectives, contrôlées, randomisées.
- (b) Etudes non randomisées, comparaisons simultanées ou historiques de cohortes.
- (c) Mises au point, revues générales, éditoriaux, séries substantielles de cas publiés dans des revues avec comité de lecture et révisés par des experts extérieurs.
- (d) Publications d’opinions publiées dans des journaux ou livres sans comité de lecture.
– Score de recommandations
- Niveau 1 : recommandation justifiée par des preuves scientifiques indiscutables.
- Niveau 2 : recommandation justifiée par des preuves scientifiques et le soutien consensuel des experts.
- Niveau 3 : recommandation ne reposant pas sur des preuves scientifiques adéquates mais soutenue par des données disponibles et l’opinion des experts.
1 - Quels sont les mécanismes de régulation de l·équilibre acide-base et quelle classification physiopathologique des acidoses métaboliques peut-on proposer ?
Alors que le pH sanguin (7,40±0,03) est mesuré couramment, c·est le pH intracellulaire (pHi) qui doit être maintenu dans des limites étroites (6,8-7,2) pour un bon fonctionnement cellulaire. La charge acide cellulaire est constituée par le CO2 ( 14.000 mmoles/j) provenant du métabolisme oxydatif et des acides fixes ( 60 mmoles/j) provenant du catabolisme de certains acides aminés. Un catabolisme glucidique ou lipidique incomplet peut augmenter considérablement cette charge acide. Le pHi est régulé par un fort pouvoir tampon intracellulaire (phosphates, protéines et système bicarbonate/CO2) et plusieurs systèmes de transport ionique membranaire (échangeurs Na+/H+ couplés à la Na+/K+ATPase, échangeurs Cl-/HCO3-). La charge acide est transférée vers le sang veineux. Dans les hématies riches en anhydrase carbonique, le CO2 est hydraté en acide carbonique qui se dissocie en ions H+ et HCO3-. La quasi-totalité de la charge acide est éliminée sous forme de CO2 par le poumon. Cette élimination nécessite un débit sanguin pulmonaire, une ventilation alvéolaire et des rapports ventilation/perfusion adaptés. La ventilation est contrôlée par les chémorécepteurs du tronc cérébral sensibles à la diminution du pH. Le rein assure la réabsorption des ions HCO3- filtrés. L·excrétion urinaire de NH4+ est le moyen quantitativement le plus important pour éliminer les ions H+ fixes.
L·acidose métabolique est définie par une hypobicarbonatémie conduisant à une diminution du pH (acidémie) qui stimule la ventilation et diminue la PCO2.
La classification suivante est proposée :
– 1. perte d’ions HCO3-, digestive, rénale ou relative par dilution
– 2. accumulation d’ions H+, par défaut d’excrétion (acidose tubulaire distale, insuffisance rénale), par apports exogènes (nutrition parentérale, intoxications) ou par augmentation de la production endogène (acidocétose diabétique, maladies héréditaires du métabolisme, acidoses lactiques).
Le diagnostic d·acidose métabolique repose sur l·analyse des résultats des gaz du sang correctement effectuée. Si la compensation respiratoire est adéquate, la PaCO2 diminue d’environ 1,25 mmHg (0,16 kPa) pour chaque diminution d·une mmol/L de la concentration des bicarbonates calculés. Outre le contexte clinique, les examens biologiques utiles pour déterminer le mécanisme et les causes d’une acidose métabolique sont :
– 1. le trou anionique plasmatique : augmenté, il suggère une accumulation d·ions H+, hormis dans l·acidose tubulaire distale ;
– 2. une hyperlactatémie persistante³ 5 mmol/l témoigne souvent d·une hypoxie tissulaire ;
– 3. la recherche des corps cétoniques urinaires est facile au lit du malade, mais le dosage sanguin du àŸ-hydroxybutyrate et de l·acétoacétate est souvent nécessaire.
2 - Quelles sont les conséquences de l·acidose métabolique ?
Au niveau cellulaire, une diminution du pHi a pour conséquences principales une accumulation intracellulaire de sodium à l·origine d·un gonflement cellulaire, une augmentation de la concentration calcique cytosolique, une réduction de l·activité énergétique par inhibition de la glycolyse.
Potentiellement délétères pour une cellule saine, ces adaptations pourraient être protectrices lors de dysoxie cellulaire en permettant une épargne énergétique et en atténuant les effets liés à l·excès de calcium.
A l·échelle de l·organisme, les données expérimentales indiquent que l·acidose métabolique déprime la contractilité cardiaque, est arythmogène, a un effet systémique vasodilatateur global et un effet vasoconstricteur pulmonaire. Cliniquement, le rôle propre de l·acidose ne semble pas aussi délétère (c). L·hyperventilation compensatrice peut être à l·origine d·un épuisement des muscles respiratoires. Il n·y a pas de corrélation stricte entre kaliémie et pH (c). Expérimentalement, l·efficacité des catécholamines paraît préservée en milieu acide, même en acidose profonde.
Le pronostic d·une acidose métabolique dépend beaucoup plus de sa cause que de la valeur du pH.
3 - Quels sont les effets bénéfiques et délétères des solutés tampons ?
Les solutés tampons s·opposent aux variations de concentration des ions H+. Le bicarbonate de sodium neutralise les protons et produit du CO2 qui doit être éliminé par voie pulmonaire. Le Carbicarb* solution équimoléculaire de carbonate et de bicarbonate de sodium, limite la production de CO2. Le THAM, tampon aminé, fixe les protons en générant du bicarbonate sans produire de CO2. La forme protonée est éliminée par voie rénale. Le Tribonat*, associant THAM, bicarbonate, acétate et phosphate aurait les effets du THAM et du bicarbonate.
La posologie initiale de bicarbonate de sodium, préférentiellement isotonique, est de 1 à 2 mmol/kg, en perfusion lente (3c). Une recharge potassique peut être utile en fonction de la kaliémie. Le pH est contrôlé 30 minutes après l·arrêt de la perfusion. La posologie de THAM acétate en mmol est calculée suivant la formule : 0,3 x déficit basique (mmol/L) x kg. La moitié de la dose est perfusée en 10 minutes, le reste en 1 heure. La dose maximale est de 15 mmol/kg/j (3c).
Le bicarbonate de sodium permet de corriger le pH plasmatique mais tend à augmenter la PCO2 tissulaire et veineuse (a). Le CO2 diffusant plus rapidement que les protons entraîne une acidose intra-cellulaire paradoxale. Ses conséquences cliniques restent controversées. L·apport d·eau et de sodium augmentent la volémie, l·osmolarité et la natrémie. Le THAM diminue la PaCO2, la PvCO2 et n·induit pas d·acidose intracellulaire paradoxale (a). Il entraîne une vasodilatation qui réduirait l·efficacité de la réanimation cardio-pulmonaire. Le THAM peut induire une dépression respiratoire et une hypoglycémie. Le Tribonat* augmente le pHi.
L·alcalinisation supprime l·inhibition de la 6-phosphofructokinase, relance la glycolyse et la production de lactate et des corps cétoniques. Cet effet peut être délétère en cas d·acido-cétose ou d·acidose lactique.
En dehors de la correction du pH, aucune substance tampon, n·a fait la preuve d·une efficacité clinique dans l·acidose métabolique (b).
(*non commercialisé en France)
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4 - En dehors des solutés tampons, quels sont les autres moyens de correction de l·acidose métabolique ?
Ces moyens, qui doivent être associés au traitement étiologique, visent à éliminer les ions H+ ou à limiter leur production.
L·hyperventilation :
Ce moyen physiologique de compensation permet une élimination du CO2 et donc une diminution de la concentration d·ions H+. Son efficacité dépend de la ventilation alvéolaire, de l·intégrité du système respiratoire et de l·état hémodynamique.
L·hyperventilation spontanée doit être respectée (3) mais peut être difficile à maintenir ou insuffisante en cas de pathologie respiratoire associée.
La ventilation mécanique diminue le travail respiratoire et prévient la fatigue diaphragmatique. Ses limites sont liées au niveau élevé de ventilation minute nécessaire en cas d·acidose sévère et à son retentissement hémodynamique. L·efficacité des différents modes ventilatoires pour corriger le pH n·a pas été évaluée. La ventilation minute doit être adaptée sur les résultats des gaz du sang artériel.
L·épuration extra-rénale :
Elle permet d·augmenter la concentration plasmatique de bicarbonate sans risque de surcompensation ou de surcharge hydrosodée (3b). Le transfert de bicarbonate (ou d·anions métabolisables selon le tampon) du dialysat vers le patient s·accompagne d·une diffusion de CO2qui doit être éliminé par la ventilation. L·amélioration du pH par épuration extra-rénale dépend donc d·une ventilation (spontanée ou mécanique) efficace. L·élimination directe d·ions H+ et du lactate est négligeable. En revanche, l·épuration extra-rénale permet d·éliminer directement la charge acide exogène de certains toxiques ou de leurs métabolites.
Les techniques intermittentes ou continues avec tampons bicarbonate ou lactate semblent équivalentes pour corriger l·acidose (2b). L·usage de tampon lactate n·est pas recommandé en cas d·acidose avec hypoxie tissulaire, de défaillance hépatique ou d·hyperlactatémie (3c). En cas d·instabilité hémodynamique, les techniques continues avec abord veino-veineux sont préférables (2b).
Le dichloroacétate :
Chez des patients en acidose lactique, son efficacité biologique n·apporte aucun bénéfice clinique. Non disponible en France, son usage n·est pas recommandé (2a).
5 - Quand et comment corriger une acidose métabolique en réanimation ?
La prise en charge d’une acidose métabolique comporte deux impératifs :
– 1. mettre en oeuvre les moyens permettant de traiter la cause ;
– 2. assurer l’élimination du CO2 en améliorant son transport sanguin, la perfusion tissulaire et la ventilation alvéolaire. A cet effet, la réponse ventilatoire spontanée doit être respectée. Lorsque cette dernière n’est plus adaptée (PaCO2 trop élevée par rapport à la PaCO2 attendue), le recours à la ventilation artificielle doit être envisagé sans que celle-ci ne réduise l’élimination pulmonaire du CO2. Cette technique permet en outre une diminution de la dépense énergétique et donc de la production de protons et de CO2. Une sédation peut s’avérer utile.
En cas d’insuffisance rénale ou lors de certaines intoxications, le recours à l’épuration extra-rénale peut être nécessaire. Son utilisation nécessite qu’au préalable soit corrigée la défaillance hémodynamique et que l’élimination du CO2 par le poumon soit assurée. La préférence est donnée au bain au bicarbonate.
L’apport de substances tampons ou d’alcalinisants n’est justifié que dans de rares indications spécifiques : pertes excessives de bicarbonate, acidose métabolique associée à une hyperkaliémie ou au cours d’une intoxication par des produits à effet stabilisant de membrane.
Les recommandations du jury concernant les indications de l’utilisation de substances tampons au cours des acidoses métaboliques sont les suivantes :
Mécanismes et étiologies de l'acidose |
Substances tampons |
Force de la recommandation et niveau de preuves |
Perte en ions bicarbonate |
Oui |
2 b |
Acidose lactique au cours des états de choc |
Non |
2 a (2 études chez l'homme) |
Acidose lactique au cours de l'arrêt cardiocirculatoire |
Non* |
2 a (une étude chez l'homme) |
Acidocétose diabétique |
Non |
1 a |
Acidocétose alcoolique |
Non |
2 b |
Erreurs innées du métabolisme |
Non |
2 b |
Intoxications |
Non* |
2 b |
Insuffisance rénale |
Non** |
3 c |
– * sauf en cas d’hyperkaliémie ou d’intoxication aux stabilisants de membrane
– ** sauf pour le traitement en urgence d’une hyperkaliémie dans l’attente de l’épuration extra-rénale
L’attitude ou l’habitude consistant à alcaliniser les acidoses métaboliques sévères dysoxiques et des arrêts cardiaques prolongés pour corriger le pH, même si elle est encore recommandée dans des revues récentes, n’est pas justifiée sur le plan scientifique en raison du bas niveau de preuve. Par conséquent le jury recommande pour ces situations la réalisation d’études cliniques prospectives.
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