Indications de la curarisation en anesthésie

 lundi 12 juillet 1999  |  Janvier 2004  |  0 Commentaires
  HIA Bégin

Conférence de consensus - Texte court

12 juillet 1999
Hôpital d’Instruction des Armées Bégin
94163 Saint-Mandé

Ce document est publié dans les pages bleues de Ann Fr Anesth Réanim 2000 ;19 : fi 34-37

Comité d’organisation

P. Duvaldestin, Président (hôpital Henri Mondor, Créteil), A. Giraud (Hôpital Jean-Verdier, Bondy), C. Lejus (Hôtel-Dieu, Nantes), J.-L. Bourgain (Institut Gustave-Roussy, Villejuif), P. Feiss (CHU Dupuytren, Limoges), M. Fischler (CMC Foch, Suresnes), C. Martin (Hôpital Nord-Marseille), Y. Nivoche (Hôpital Robert-Debré, Paris).

Experts

I. Constant (Hôpital Trousseau, Paris), A.-M. Cros (Hôpital Pellegrin, Bordeaux), M.-C. Laxenaire (Hôpital Central, Nancy), N. Nathan (CHU Dupuytren, Limoges), P. Adnet (Hôpital B, Lille), M. Baurain (Erasme, Bruxelles), M. Beaussier (Hôpital Saint-Antoine, Paris), L. Beydon (Hôtel-Dieu, Angers), D. Chassard (Hôtel-Dieu, Lyon), B. Debaene (Hôpital Jean-Bernard, Poitiers), G. Dhonneur (Hôpital Henri-Mondor, Créteil), M. Govaerts (HUDE Reine Fabiola, Bruxelles), J.-Y. Lepage (Hôtel-Dieu, Nantes), C. Meistelman (CHU Brabois, Nancy), M. Raucoules (Archet II, Nice), P. Schoeffler (Hôpital Gabriel Montpied, Clermont-Ferrand), F. Sztark (Hôpital Pellegrin, Bordeaux), E. Tassonyi (Hôpital Cantonal, Genève).

Rapporteurs

A. Billaud-Boichon (Hôpital Hautepierre, Strasbourg), C. Wilmet (Hôpital Hautepierre, Strasbourg), M. Lanteri-Minet (Hôpital Henri-Mondor, Créteil), C. Motamed (Hôpital Henri-Mondor, Créteil), P. Segura (Hôpital Hautepierre, Strasbourg), B. Vivien (CHU Pitié-Salpétrière, Paris).

Jury

P. Feiss, Président (CHU Dupuytren, Limoges), S. Fompeyrine (CHU Dupuytren, Limoges), V. Banssillon (CH Lyon-Sud, Lyon), P. Caramella (CH, Nevers), C. Ecoffey (Hôpital Pontchaillou, Rennes), O. Gateau (Centre Saint-Roch, Cavaillon), P. Guy (Clinique G. Bizet, Paris), J.-P. Haberer (Hôtel-Dieu, Paris), F. Hemery (Hôpital Henri-Mondor, Créteil), P. Oberlin (CHI Villeneuve-Saint-Georges), M. Schmitt (Hôpital d’Enfants de Brabois, Nancy).

Cette conférence a été organisée et s’est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), qui lui a attribué son label de qualité. Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le Jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en aucune manière la responsabilité de l’Anaes.

Les lettres [A], [B] et [C] placées entre parenthèses représentent les niveaux de preuve résultant de l’analyse de la littérature.
 A : . Études randomisées en double aveugle (niveau de preuve élevé)
 B : Une seule étude randomisée ou plusieurs études prospectives avec mesure objective du degré de relâchement musculaire.
 C : Études non randomisées avec groupe témoin contemporain ou analyses de cas cliniques ou conférences d’experts.

 CHEZ L’ADULTE

 Question I : La curarisation rend-elle l’intubation trachéale plus facile et influence-t-elle ainsi l’incidence des complications liées à l’intubation trachéale ?

Chez l’adulte, la curarisation facilite l’intubation endotrachéale à condition d’injecter une dose de curare suffisante pour obtenir un relâchement musculaire complet et de n’intuber qu’après le délai nécessaire à l’installation de l’effet maximal du curare [A]. La dose nécessaire pour intuber est au moins égale ou supérieure à deux fois la dose efficace 95 (DE 95) déterminée au niveau de l’adducteur du pouce [A].

Le délai nécessaire à l’installation de l’effet maximal des curares dépend du type et de la dose du curare. Pour la succinylcholine à la dose de 1 mg·kg&endash;1, ce délai est de l’ordre de 60 secondes [A]. Pour les curares non dépolarisants, ce délai est plus long, de l’ordre de 1,5 à 4 minutes. Le monitorage de la curarisation au niveau de l’orbiculaire de l’œil permet de déterminer le délai optimal pour l’intubation trachéale [A]. En l’absence de monitorage de la curarisation, un délai moyen de trois minutes permet dans la plupart des cas l’intubation trachéale dans de bonnes conditions [B].

Les principaux incidents de l’intubation trachéale sont les traumatismes pharyngés et laryngés bénins responsables de maux de gorge, et les lésions dentaires. Les complications graves (perforation trachéale, intubation œsophagienne) sont rares.

Plusieurs études évoquent une diminution des traumatismes pharyngés, laryngés et des lésions dentaires lorsqu’un curare est utilisé pour l’intubation trachéale. La curarisation pour l’intubation trachéale ne diminue pas le risque d’intubation œsophagienne accidentelle.

 Question II : Les effets secondaires des curares sont-ils différents selon l’agent de blocage neuromusculaire ?

Certains effets secondaires sont communs aux curares dépolarisants et non dépolarisants et d’autres sont spécifiques à chaque classe de curares.

Effets secondaires communs

Tous les curares possèdent la particularité de pouvoir entraîner des complications de type anaphylactique avec réactions croisées entre eux. La succinylcholine est plus fréquemment impliquée dans ces accidents [C].

Effets secondaires des curares dépolarisants

La succinylcholine a des effets secondaires potentiellement graves mais rares. La stimulation des récepteurs cholinergiques peut entraîner des épisodes de bradycardie réversibles et prévenus par l’injection d’atropine, des arythmies ventriculaires aggravées par les halogénés [B].

La succinylcholine entraîne une augmentation constante de la kaliémie de 0,5 mmol/l, celle-ci peut être plus importante et entraîner des troubles du rythme cardiaque graves dans les circonstances suivantes : brûlures, polytraumatismes, traumatismes médullaires, syndromes de dénervation [B].

La succinylcholine n’est pas un facteur déclenchant mais un facteur aggravant de l’hyperthermie maligne aux anesthésiques volatils halogénés [C].

Un déficit en pseudocholinestérases plasmatiques peut entraîner une curarisation prolongée après succinylcholine.

Effets secondaires des curares non dépolarisants

Un déficit en pseudocholinestérases plasmatiques peut entraîner une curarisation prolongée après mivacurium [B].

L’histaminolibération pharmacologique des benzylisoquinones est prévenue par une injection lente [A].

 Question III : La curarisation est-elle indiquée pour faciliter l’intubation trachéale dans les conditions suivantes ?

1. En chirurgie programmée

 a) Chez les patients sans difficulté prévisible d’intubation

  • Lorsque l’acte chirurgical ne nécessite pas de curarisation, l’intubation peut se faire avec ou sans curare [A].
  • L’intubation sans curare est recommandée chez les patients allergiques aux myorelaxants [C].
  • L’intubation sans curare est possible dans de bonnes conditions avec un hypnotique intraveineux associé à un morphinique ou avec le sévoflurane [A]. Parmi les agents intraveineux, le propofol et l’alfentanil sont le plus souvent proposés. Le rémifentanil peut remplacer l’alfentanil [B].
  • L’intubation sans curare requiert des doses d’hypnotiques et de morphiniques élevées ou une concentration importante de sévoflurane. Son principal inconvénient est la survenue d’une hypotension artérielle [B]. Pour diminuer la dose d’hypnotiques et de morphiniques, il est préconisé d’administrer 1 mg·kg&endash;1 de lidocaïne par voie intraveineuse ou en application locale sur la glotte.
  • Pour les actes brefs, l’intubation peut être facilitée par l’injection de succinylcholine [C].
  • Si la curarisation peropératoire est nécessaire et la durée de l’acte supérieure à 30 minutes, l’intubation sera réalisée après administration d’un curare de durée intermédiaire [C].
  • L’utilisation du pancuronium est réservée aux interventions dont la durée excède deux heures ou quand la ventilation contrôlée est poursuivie après l’intervention [C].

 b) Chez le patient dont l ’intubation trachéale est potentiellement difficile

  • L’anesthésie générale peut être pratiquée, mais il est recommandé de maintenir la ventilation spontanée du patient [C].
  • L’utilisation d’un curare est possible à condition de respecter deux règles : a) vérification de la possibilité de ventiler au masque avant l’injection de curare [C] ; b) retour à la ventilation spontanée et réveil du patient obtenus rapidement en cas d’intubation impossible [C].
  • Le curare recommandé dans ce cas est la succinylcholine à la dose de 1 mg·kg&endash;1 [C].
  • Lorsque l’intubation est jugée impossible lors de l’examen préopératoire, l’intubation doit être faite sous fibroscopie après anesthésie locale [C].

2. Patient à l’estomac plein

 Le protocole recommandé est la crash induction (induction en séquence rapide), qui associe un hypnotique et la succinylcholine [C].
 Aucune étude n’a démontré la supériorité d’un autre agent anesthésique par rapport au thiopental.
 Aucune étude ne permet de recommander l’intubation sans curare dans cette situation.

 Question IV : Maintien de la curarisation

1. Quelles sont les situations où le maintien de la curarisation facilite l’acte opératoire ?

En chirurgie abdominale et thoracique " à ciel ouvert ", le relâchement musculaire facilite l’accès au site opératoire et la fermeture pariétale [C].

En chirurgie cœlioscopique, il n’y a pas de consensus parmi les experts sur la nécessité d’un relâchement pariétal important pour la mise en place des trocarts.

La curarisation peut être utile pour éviter des mouvements intempestifs pouvant altérer la qualité de l’acte opératoire. L’alternative, qui consiste à approfondir l’anesthésie, n’est pas toujours applicable, soit à cause de la mauvaise tolérance hémodynamique, soit à cause du délai de réveil.

En orthopédie, la curarisation est utilisée pour les réductions difficiles.

La curarisation par la succinylcholine est nécessaire lors de la sismothérapie, pour éviter les effets des convulsions [C].

Il existe un grand nombre d’interventions périphériques ou superficielles ne nécessitant pas de curarisation.

2. Quelles sont les règles de sécurité lors de la curarisation peropératoire et de la décurarisation ?

Entretien de la curarisation

L’entretien de la curarisation en période peropératoire nécessite la maîtrise des voies aériennes supérieures par intubation trachéale ou masque laryngé. La mise en œuvre d’une ventilation contrôlée est recommandée [C].

Le choix de l’agent curarisant doit tenir compte de la durée de l’intervention et du terrain.

Le pancuronium ne doit pas être administré en perfusion continue en raison du risque d’accumulation.

Le monitorage instrumental est recommandé pendant l’entretien de la curarisation. Il repose sur le " train de quatre " (TOF). Sa fiabilité nécessite un bon contact des électrodes avec la peau, et l’absence d’hypothermie locale ou générale.

Le monitorage permet de mieux adapter la curarisation aux besoins de l’acte opératoire avec des doses moindres de myorelaxants et un effet résiduel plus faible [B].

Décurarisation

Les tests cliniques ne suffisent pas à garantir l’absence de curarisation résiduelle ; le monitorage instrumental constitue l’élément principal du suivi de la décurarisation [C]. Il repose sur le TOF à l’adducteur du pouce avec évaluation visuelle ou tactile de la réponse. La présence de quatre réponses au TOF ne constitue pas un critère de décurarisation complète. Il faut pouvoir affirmer en plus l’absence d’épuisement par le double burst stimulation (DBS) ou l’enregistrement du TOF.

La décurarisation pharmacologique est recommandée si la décurarisation complète ne peut être affirmée. Elle n’est envisageable qu’à partir du moment où il existe au moins deux, et au mieux quatre réponses au TOF. Elle consiste en l’injection de néostigmine à la dose de 40 à 50 µg·kg&endash;1. La néostigmine est associée à l’atropine à la dose de 15 à 20 µg·kg&endash;1. Les contre-indications à la décurarisation pharmacologique sont exceptionnelles [C]. La décurarisation peut être retardée par une hypothermie, des perturbations hydroélectrolytiques ou des interférences médicamenteuses.

3. Le maintien de la curarisation facilite-t-il l’entretien de l’anesthésie ?

La curarisation n’est pas indispensable à l’entretien de l’anesthésie. Elle peut être utile pour obtenir un bon relâchement musculaire, sans approfondir l’anesthésie au cours de la césarienne ou en cas d’instabilité hémodynamique.

Le danger de cette attitude est de masquer un réveil anesthésique, avec un risque de mémorisation.

Les curares suppriment la rigidité thoracique induite par les morphiniques.

 CHEZ L’ENFANT

 Question V : Existe-t-il des particularités dans l’indication de la curarisation ?

La curarisation rend-elle l’intubation trachéale plus facile et influence-t-elle ainsi l’incidence des complications liées à l’intubation trachéale ?

La curarisation ne rend pas plus facile l’intubation trachéale chez l’enfant [B]. Aucune étude ne permet de dire que l’incidence des complications liées à l’intubation trachéale soit différente avec ou sans curare.

Les effets secondaires sont-ils différents selon l’agent de blocage neuromusculaire ?

Les effets secondaires de la succinylcholine chez l’enfant sont les plus importants et les plus fréquents : arrêt cardiaque peropératoire, spasme des masséters, hyperthermie maligne (en association avec l’halothane) [C].

La curarisation est-elle indiquée pour faciliter l’intubation trachéale dans les situations suivantes ?

 1. En chirurgie programmée

  • a) Chez l’enfant sans difficulté prévisible d’intubation
    • Chez l’enfant sans difficulté prévisible d’intubation. Lorsque la curarisation n’est pas nécessaire en peropératoire, l’intubation trachéale est le plus souvent réalisée sans curarisation préalable, que l’induction soit faite par inhalation ou par voie intraveineuse [B].
    • Lorsque la curarisation est nécessaire en peropératoire, compte tenu de la rareté des intubations difficiles non prévisibles, l’intubation peut être réalisée après administration d’un curare de durée intermédiaire après l’âge de un an, d’atracurium avant l’âge de un an pour les actes chirurgicaux de durée prévisible supérieure à 30 minutes ; pour des actes de durée prévisible inférieure à 30 minutes, le mivacurium peut être utilisé [C].
  • b) Chez l’enfant où l’intubation trachéale est potentiellement difficile
    • Dans ce cas, l’intubation se fera en ventilation spontanée, soit avec du propofol, soit avec du sévoflurane [C].

 2. Enfant à l’estomac plein

  • La succinylcholine est recommandée comme curare de choix, éventuellement précédée d’une injection d’atropine [C].

Maintien de la curarisation

Quelles sont les situations où le maintien de la curarisation facilite l’acte opératoire ?

L’amélioration des conditions chirurgicales par des curares n’a jamais été démontrée de façon objective. La curarisation est habituellement pratiquée en chirurgie abdominale et thoracique, en chirurgie endoscopique laryngée et en chirurgie du strabisme.

Quelles sont les règles de sécurité lors de la curarisation peropératoire et de la décurarisation ?

Les règles de sécurité sont identiques à celles de l’adulte en termes de monitorage de la curarisation, d’indication et des règles de la décurarisation.

Le maintien de la curarisation facilite-t-il l’entretien de l’anesthésie ?

La curarisation peropératoire ne doit pas se substituer aux composantes hypnotiques et analgésiques de l’anesthésie générale.


[AÉtudes randomisées en double aveugle (niveau de preuve élevé)

[BUne seule étude randomisée ou plusieurs études prospectives avec mesure objective du degré de relâchement musculaire.

[CÉtudes non randomisées avec groupe témoin contemporain ou analyses de cas cliniques ou conférences d’experts.

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