- 1 - COMMENT DEFINIT-ON L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
- 2 - QUELS SONT LES PROBLEMES DIAGNOSTIQUES POSES PAR L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
- 3 - QUELLES SONT LES BASES DU TRAITEMENT DE L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
- 4 - Quelle est la conduite à tenir devant un état de mal épileptique ? (tableau 1)
- 5 - Quelles sont les particularités de la prise en charge de l’ état de mal épileptique chez le (…)
Paris , le 23 juin 1995
Cette conférence a été organisée et s’est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence Nationale pour le Développement de l’Evaluation Médicale (ANDEM) qui lui a attribué son label de qualité. Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le jury de la Conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en aucune manière la responsabilité de l’ANDEM.
Les états de mal épileptique (EME) représentent des situations d’urgence très fréquentes. Leur incidence a été estimée à environ 25 ou 30000 cas par an en France.
L’absence de travaux définitifs, quant à la physiopathologie, la morbidité, et la prise en charge de l’EME aboutit à des attitudes pratiques anarchiques et parfois délétères. Ces différentes incertitudes ont amené la Société de Réanimation de Langue Française à consacrer sa quatorzième conférence de consensus à la prise en charge de l’EME.
1 - COMMENT DEFINIT-ON L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
L’OMS définit l’EME comme "un état caractérisé par une crise d’épilepsie qui persiste suffisamment longtemps ou qui se répète à des intervalles suffisamment brefs pour créer une condition fixe et durable". L’EME peut-être convulsif et met alors rapidement en jeu le pronostic vital et fonctionnel, il peut être non convulsif et se présenter sous la forme d’un état confusionnel, de diagnostic difficile, mais ne comportant pas le même risque évolutif.
En pratique on considère que l’EME est définit et nécessite une prise en charge spécifique dès que la durée de la condition épileptique est anormalement prolongée et expose à un risque vital ou fonctionnel. Dans le cadre d’une épilepsie convulsive généralisée, on parle d’EME dès la constatation de trois crises successives sans reprise de conscience ou lorsqu’une activité convulsive continue se prolonge au delà de 5 à 10 minutes.
Des crises convulsives en séries, avec reprise de conscience intercritique, doivent être considérées comme un "syndrome de menace" d’EME.
Il est admis que l’EME relève d’une simple exagération des processus intervenant dans l’épileptogénèse.
Les EME convulsifs provoquent en quelques minutes des modifications systémiques et cérébrales dont la conjonction est susceptible d’induire des lésions neuronales rapidement irréversibles.
Les conséquences systémiques précoces sont : une hyperglycémie, une hypertension artérielle, une hypoxémie et une acidose métabolique, voire des arythmies cardiaques. Plus tardivement sont observées une hyperthermie, une hypoglycémie, une hypotension artérielle. Les conséquences cérébrales sont liées à la perte de l’autorégulation de la circulation cérébrale et aux variations tensionnelles systémiques ; l’éxcitotoxicité liée aux acides aminés excitateurs et à l’activation de leurs récepteurs participe à une cascade d’événements qui éventuellement associée aux phénomènes précédents peut provoquer des morts neuronales. Chez le nouveau-né, le cerveau immature est moins sensible aux conséquences de l’EME.
L’appréciation du risque évolutif d’un EME est difficile. La mortalité globale demeure élevée de l’ordre de 20 % chez l’adulte et de 5 % à 7,5 % chez l’enfant. et reste sensiblement plus importante en cas d’EME symptomatique.
La morbidité est difficile à évaluer du fait de la confusion entre les séquelles de l’EME et celles dues aux lésions induites par la cause de l’EME. Les séquelles sont : l’apparition ou l’aggravation d’un déficit neurologique ou d’une épilepsie voire d’une détérioration mentale.
Les facteurs péjoratifs de risques évolutifs sont : les âges extrêmes de la vie, la durée de l’état de mal, le caractère latéralisé des convulsions, l’existence de complications systémiques à la période aigüe, un traitement inadapté et l’étiologie.
2 - QUELS SONT LES PROBLEMES DIAGNOSTIQUES POSES PAR L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
Le diagnostic formel d’EME est électro-clinique, cependant en l’’absence d’EEG, un temps d’analyse anamnestique et clinique rigoureuse en permet la présomption.
Chez l’adulte, chaque forme clinique d ’EME pose des problèmes spécifiques de diagnostic :
– l’EME convulsif typique doit être différencié des syncopes convulsivantes d’origine cardiaque, des accès de décérébration et des manifestations de conversion hystérique ("Â pseudo EMEÂ ").
– L’EME larvé ("subtle status epilepticus") se réduit à des manifestations cliniques minimes ou nulles. Il constitue soit le terme évolutif d’un EME convulsif non ou insuffisamment traité soit la forme masquée d’un EME, par dissociation électromécanique en cas de coma préexistant, sédation ou curarisation.
– l’EME myoclonique doit être distingué des myoclonies non épileptiques au cours des encéphalopathies, notamment anoxiques .
– Les EME non convulsifs se manifestent sous la forme d’un syndrome confusionnel ou psychiatrique.
Chez l’enfant dont le niveau de conscience est d’autant plus difficile à apprécier qu’il est plus jeune, chez le nouveau-né et le nourrisson, dont les crises sont pauci-symptomatiques et difficiles à reconnaître, l’EEG est nécessaire.
Dans toutes les situations atypiques, l’EEG est déterminant et nécessite un avis spécialisé pour son interprétation. Il est fondamental qu’il soit disponible 24h/24 pour le diagnostic et le suivi des formes graves dans les services prenant en charge ces malades en urgence.
L’enquête étiologique est effectuée parallèlement à la mise en œuvre du traitement et doit être centré sur la recherche des causes appelant un traitement d’urgence.
Chez l’adulte épileptique connu, les facteurs déclenchants sont souvent intriqués et dominés par l’arrêt intempestif ou le sous dosage des antiépileptiques, le sevrage alcoolique ou l’intoxication éthylique récente. En leur absence on doit rechercher une autre cause, en particulier une complication de traumatisme crânien .
En dehors d’une comitialité établie, seront recherchés : une pathologie cérébrale vasculaire, tumorale ou infectieuse, une affection systémique aiguè due à un trouble métabolique, une intoxication, une anoxie, un sevrage médicamenteux. Le bilan biologique initial comporte la détermination de la glycémie capillaire, de la natrémie et de la calcémie. Un contexte fébrile récent impose une ponction lombaire. Après l’arrêt, même temporaire, des convulsions, les indications de la TDM doivent être larges.
La proportion des EME idiopathiques augmente avec l’âge au cours des 10 premières années ; elles sont identifiées par des critères électrocliniques spécifiques et relèvent d’un avis spécialisé.
3 - QUELLES SONT LES BASES DU TRAITEMENT DE L’ETAT DE MAL EPILEPTIQUE ?
L’objectif du traitement de l’EME est d’atteindre le plus rapidement possible des concentrations cérébrales adéquates d’antiépileptique (AE), et de les maintenir jusqu’à cessation des crises.
L’utilisation d’un AE nécessite de prendre en compte son spectre d’activité, son intervalle thérapeutique, sa rapidité et sa durée d’action, la linéarité de sa cinétique, ses interactions médicamenteuses et la possibilité de l’administrer par voie orale en traitement de relais. Aucun AE disponible ne remplit les conditions pharmacocinétiques idéales .
La voie veineuse et la voie rectale (principalement chez l’enfant) sont les seules adaptées à l’urgence thérapeutique des EME .
Le traitement de l’EME demeure mal codifié, en raison des imprécisions de sa définition et de la rareté des essais comparatifs. Il apparaît toutefois, que l’efficacité dépend du type de l’EME et de son étiologie : l’efficacité est moindre en cas d’épilepsie symptomatique aigüe.
Les benzodiazépines (diazépam, clonazépam...), en raison de leur rapidité d’action, sont considérés comme des AE de première intention dans le traitement de l’EME généralisé. Malgré quelques différences pharmacocinétiques, il ne semble pas qu’il existe de différence d’efficacité entre ces produits.
La phénytoine est privilégiée dans l’état de mal tonico-clonique généralisé en raison d’un effet prolongé et de l’absence d’effets dépresseurs centraux ou respiratoires. Son maniement est rendu délicat par une cinétique non linéaire et un intervalle thérapeutique étroit .
Le phénobarbital est un médicament majeur d’effet prolongé. Ses effets dépresseurs ne sont généralement constatés qu’aux doses importantes. Ils sont majorés par l’association avec les benzodiazépines.
La place de la forme injectable du valproate de sodium dans l ’EME reste à évaluer .
Les anesthésiques barbituriques (thiopental) sont réservés aux formes réfractaires aux autres thérapeutiques. Le clométhiazole, la lidocaine (chez le nouveau-né), les anesthésiques non barbituriques volatils ou intraveineux ont été proposés dans les mêmes indications.
L’intérêt des concentrations plasmatiques des AE est limité par l’absence d’information sur leurs intervalles thérapeutiques en cas d’EME et par la difficulté d’obtention immédiate des résultats. Ces dosages restent utiles chez un épileptique traité pour connaitre les concentrations d’AE avant l’EME et dans tous les cas d’échec thérapeutique ou de survenue d’effets indésirables.
4 - Quelle est la conduite à tenir devant un état de mal épileptique ? (tableau 1)
L’EME est une urgence, nécessitant une hospitalisation, un transport médicalisé et une prise en charge graduée. Premier temps (0-30 mn) : la prise en charge associe un traitement anti-épileptique et des mesures générales (prévention des traumatismes, liberté des voies aériennes, oxygénothérapie, lutte contre l’hyperthermie, contrôle de la glycémie). En l’absence d’un accès veineux, et dès le domicile, le diazépam doit être administré par voie rectale, notamment chez l’enfant pour lequel il peut être renouvelé une fois. Chez l’ adulte le plus souvent, on a recours à une benzodiazépine par voie veineuse lente dès que possible (diazépam ou clonazépam ) . Un AE d’action prolongée la phénytoine ou le phénobarbital doit être débuté simultanément par voie veineuse. Le choix repose sur l’existence de contre-indications à l’un des produits (insuffisance coronarienne, bradycardie, BAV pour la phénytoine, insuffisance respiratoire pour le phénobarbital) ou sur des habitudes. Dans les deux cas, une surveillance cardio-respiratoire est nécessaire. L’intubation ne doit pas être envisagée systématiquement mais s’impose lorsque la sécurité du malade est en jeu, surtout lorsqu’un transport est nécessaire (détresse respiratoire, altération profonde et prolongée de la conscience). Deuxième temps (30 à 50 mn) : si l’EME persiste, il est recommandé d’ augmenter la posologie de l’ AE d’action prolongée initialement choisi. Troisième temps (50 à 80 mn ) : l’échec des AE d’action prolongée, fait envisager pour la plupart des auteurs, l’anesthésie barbiturique par le thiopental sous ventilation contrôlée.
L’adaptation de la posologie sera basée sur l’obtention d’un tracé éléctroencéphalographique de "burst suppression". En raison du retentissement cardio-circulatoire de cette technique, des alternatives sont proposées : administration de l’AE d’action prolongée (phénytoine, phénobarbital) non utilisé au préalable ; utilisation d’autres AE comme le clométhiazole ou d’autres anesthésiques non barbituriques .
La surveillance de l’ efficacité thérapeutique est essentiellement basée sur l’examen clinique et l’EEG. Si les manifestations cliniques disparaissent, l’EEG est indispensable mais sans urgence. La persistance d’anomalies cliniques, même minimes, ou un contrôle difficile de l’EME rendent l’EEG indispensable en urgence. A ce stade la confrontation électro-clinique et un avis spécialisé sont nécessaires, en particulier pour traiter des crises larvées. Les traitements anti-oedémateux sont à réserver à certaines étiologies (tumeurs, période péri-opératoire en neurochirurgie). La vitamine B1 reste proposée chez l’alcoolique comme traitement associé. L’intérêt du sulfate de magnésium a récemment été confirmé au cours des crises subintrantes de l’éclampsie.
5 - Quelles sont les particularités de la prise en charge de l’ état de mal épileptique chez le nouveau né et l’enfant ?
Chez le nouveau-né : le traitement ne se conçoit que dans un service de réanimation néonatale. Il est important de disposer d’un EEG précoce interprété par un spécialiste. L’EEG, en effet, outre son intérêt diagnostique, a une grande valeur pronostique. Les AE les plus utilisés en première intention sont le diazépam et le phénobarbital. En cas d’échec, l’association à d’autres AE a été proposée : phénytoïne, clonazépam. En cas d’EME réfractaire, il faut éviter une escalade thérapeutique car il n’est pas démontré que le traitement systématique des crises brèves et répétées améliore le pronostic. Il en est de même des EME électriques sans mouvement convulsif. Un surdosage thérapeutique empêche d’apprécier l’état clinique, modifie l’EEG, comporte des risques d’intoxication et empêche d’évaluer le pronostic.
Les EME symptomatiques sont les plus fréquents : encéphalopathies anoxo-ischémiques, infections, accidents vasculaires cérébraux, désordres métaboliques dont les convulsions pyridoxino dépendantes et les erreurs innées du métabolisme, anomalies anatomiques du système nerveux central.
Chez le nourrisson et l’enfant le traitement est peu différent de celui utilisé chez l’adulte (posologie : voir tableau 1). Cependant, quelques situations particulières sont à souligner :
– toute convulsion fébrile comportant un ou plusieurs des critères suivants nécessite une hospitalisation : âge de survenue avant 1 an, crises focalisées, antécédents familiaux d’épilepsie, durée supérieure à 30 minutes, examen neurologique antérieurement anormal.
– un EME fébrile doit faire suspecter et traiter de principe une encéphalite herpétique si les convulsions sont localisées.
– les convulsions apyrétiques focalisées ou non sans étiologie évidente, doivent faire rechercher un hématome sous dural, des troubles métaboliques, une intoxication, un syndrome neurocutané, une épilepsie syndromique débutante.
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