Saturnisme chronique de l’enfant

Pr Jean-Louis BERNARD - Pr Pierre COCHAT, Document pédagogique destiné à la formation des médecins et futurs médecins

 1996  |  Janvier 2005  |  0 Commentaires
  SFP

 INTRODUCTION

On appelle saturnisme chronique de l’enfant une intoxication chronique par le plomb. Il s’agit d’une pathologie insidieuse posant un difficile problème de santé publique dans plusieurs pays développés, dont la France.
Le plomb n’a aucun rôle physiologique connu chez l’homme, sa présence dans l’organisme témoigne donc toujours d’une contamination et la plombémie physiologique est donc nulle. Le plomb incorporé par voie digestive, respiratoire ou sanguine (mère-foetus) se distribue essentiellement (94%) dans le squelette où il reste stocké très longtemps (demi-vie > 10 ans), et le reste dans les tissus mous et le sang. La plombémie et la plomburie spontanée ne reflétant qu’un état ponctuel d’équilibre et ne renseignent que très imparfaitement sur l’état d’imprégnation réel du sujet.

 Les effets pathogènes

L’intoxication chronique se caractérise par l’absence de seuil et l’effet délétère de l’accumulation dans le squelette. Les cibles essentielles sont :

 l’hématopoïèse, par interférence à plusieurs niveaux de la synthèse de l’hème, responsable :

  • d’une élévation de l’acide delta-aminolévulinique (ALA) sérique et de la protoporphyrine intra-érythrocytaire (porphyrie secondaire) ;
  • et en partie d’une anémie normochrome normocytaire ; en fait, l’anémie constatée est dans la plupart des cas microcytaire et hypochrome car une carence martiale est associée ; une correction de la carence martiale démasque l’anémie normocytaire.

 le système nerveux

  • central (troubles du comportement et du sommeil, diminution des acquisitions et des performances cognitives, convulsions dans les intoxications graves) et,
  • à un moindre degré périphérique (diminution de la vitesse de conduction nerveuse) ;.le tube digestif avec des troubles de la motricité (constipation, douleurs abdominales), et plus rarement : le rein (néphropathie tubulo-interstitielle dans les intoxications graves), la thyroïde (hypothyroïdie), le système cardio-vasculaire (hypertension).

Enfin, le plomb est classé parmi les substances probablement carcinogènes (preuves suffisantes chez l’animal, insuffisantes chez l’homme).

Dans le saturnisme chronique de l’enfant, l’effet pathogène critique est l’altération des acquisitions avec son cortège de difficultés scolaires et sociales.

 Les sources de contamination

Liées à l’activité humaine dans de nombreux domaines :

 peintures au plomb,
longtemps utilisées pour leurs vertus antirouille, antihumidité, leur fort pouvoir couvrant, leur bonne adhérence ; usage par les professionnels à l’intérieur des habitations interdit en France depuis 1948 ; toujours présentes dans de nombreux logements anciens (murs, huisseries). Pour présenter un risque, le plomb doit être accessible : revêtements dégradés, écailles, poussières.

 adduction d’eau :
anciennes conduites en plomb toujours présentes à l’intérieur de nombreux vieux logements, risque pouvant être accentué par l’acidité et la faible minéralisation de l’eau et parfois par un système de caisses à eau dans lesquelles l’eau stagne avant d’être consommée (le premier jet du premier puisage du matin est le plus contaminé : à éviter pour confectionner le biberon du dernier né !) ;

 utilisation d’objets et produits domestiques à risque : poterie vernissée, loisirs (figurines en plomb, cartouches de chasse), cosmétiques (khôl).

 carburants (industrie pétrolière, distribution et consommation) et industrie : (accumulateurs).
Le circuit de contamination peut parfois être indirect (père ramenant à la maison des vêtements et poussières d’origine professionnelle : industrie, plombier, peintre).

 Les enfants à risque

L’enfant jeune

est un sujet particulièrement à risque car :
 l’ingestion est potentiellement importante : il boit et mange 110 g/kg/jour (3 fois plus qu’un adulte), porte naturellement les objets à la bouche pour explorer son environnement, aime le goût sucré des écailles de peinture au plomb ;
 l’absorption digestive est élevée (50%), majorée par le jeûne, la carence en fer ou calcium et l’apport de vitamine D ;
 l’inhalation est potentiellement importante : il inhale au repos proportionnellement 3 fois plus d’air qu’un adulte, de plus son activité physique est plus importante ;
 sa capacité d’élimination rénale est faible : le ratio Pb excrété / Pb absorbé = 30% chez l’enfant vs 75-90 % chez l’adulte.
 le cerveau en croissance est plus sensible au toxique.
La période de risque s’étend de 6 mois (début de l’autonomie) à 6 ans, si l’on ne tient pas compte de la transmission foetomaternelle.
L’enfant ayant un trouble du comportement alimentaire pica (ingestion habituelle de produits non alimentaires) ou portage oral important (conditions de vie, non réfréné dans certaines cultures : Afrique noire).
L’enfant proche d’un sujet intoxiqué ou fréquentant un logement contaminant ou potentiellement contaminant (vétuste et dégradé ou récemment rénové : risque majoré par des travaux sans précaution).

 Signes d’alerte

Les signes cliniques sont :

 classiquement insidieux car banaux et peu spécifiques :

  • troubles digestifs vagues : anorexie, douleurs abdominales récurrentes, constipation, vomissements,
  • troubles du comportement (apathie ou irritabilité, hyperactivité), troubles de l’attention et du sommeil, mauvais développement psychomoteur,
  • pâleur en rapport avec l’anémie.

 souvent absents et le diagnostic est alors établi par un dépistage biologique sanguin demandé chez un enfant à risque :

  • âge compris entre 12 mois et 6 ans et :
  • résidant dans un logement vétuste ou humide, et dégradé ou rénové récemment,
  • et/ou présentant un pica ou un portage oral important,
  • et/ou fréquentant un logement connu pour être contaminé,
  • et/ou vivant auprès d’un sujet intoxiqué.

 Démarche diagnostique

L’interrogatoire

 s’attache :

  • à reconnaître les facteurs de risque,
  • à rechercher les sources possibles de contamination.

L’examen clinique

 assez souvent négatif, peut découvrir :

  • une pâleur cutanéomuqueuse,
  • un ballonnement abdominal, une corde colique témoignant de l’atonie intestinale,
  • des troubles du comportement et un retard dans les acquisitions psychomotrices.

Le bilan de première intention
comporte :
 au minimum une plombémie, qui doit être réalisée dans des conditions techniques précises (prélèvement correct, dosage dans un laboratoire agréé). Il permet d’affirmer l’intoxication et de la classer dans l’une des 6 classes de la classification du Center for Diseases Control (CDC).

Classification du CDC (1991)

Classe Plombémie
Classe I < = 99 µg/l
Classe IIa 100-149 µg/l
Classe IIb 150-249 µg/l
Classe III 250-449 µg/l
Classe IV 450-699 µg/l
Classe V >= 700 µg/l

Un taux supérieur à 100 µg/l correspond à une intoxication devant faire l’objet d’une prise en charge.

 un hémogramme est souhaitable à la recherche d’une anémie hypochrome microcytaire, souvent associée.
devant un tableau abdominal ou un pica, une radiographie de l’abdomen sans préparation peut montrer les écailles ingérées de peinture plombée sous la forme de petites images radio-opaques, essentiellement sur le trajet colique .

 les dosages de la protoporphyrine-zinc sanguine, de l’ALA urinaire et de la plomburie spontanée, peu sensibles, ne sont pas indispensables.
Après confirmation biologique du diagnostic

il convient :
 d’apprécier l’ancienneté et les conséquences de l’intoxication chez l’enfant :

  • bilan biologique sanguin (ferritinémie), rénal (créatininémie, protéinurie par bandelette),
  • radiographie des genoux à la recherche de bandes claires métaphysaires témoignant de l’accumulation de plomb au niveau des cartilages de conjugaison,

 évaluation du développement psychomoteur.
 de rechercher la (ou les) source(s) de contamination :

  • par une enquête sur le mode de vie et les habitudes familiales, le type et l’état du logement,
  • au mieux complétée par une enquête à domicile : repérage visuel de l’environnement, dosage isotopique du plomb dans les revêtements, analyse des poussières, de l’eau.

 Prise en charge

L’enfant malade

La conduite doit suivre les règles établies par les équipes spécialisées, qui préconisent actuellement, en fonction de la plombémie :
 en dessous de 250 µg/l :
suivi clinique et biologique, éducation sanitaire des familles (nettoyage humide des sols, nettoyage des mains, surveillance des enfants, favoriser les jeux en extérieur, bon usage de l’eau...) , traitement d’une éventuelle carence martiale associée.

 entre 250 et 450 µg/l,
bilan hospitalier comportant notamment une épreuve de plomburie provoquée destinée à apprécier le stock de plomb et sa capacité à être mobilisé par un chélateur (EDTA calcique ou DMSA). Cette épreuve doit être réalisée à distance de tout traitement martial (15 j), après s’être assuré de l’arrêt de la contamination et sous surveillance de la fonction rénale. En fonction du résultat, une ou plusieurs séries de chélations (EDTA en perfusion à l’hôpital ou DMSA per os en ambulatoire) peuvent être indiquées.

 au-dessus de 450 µg/l,
une hospitalisation pour chélation s’impose. Une plombémie supérieure à 700 µg/l constitue une urgence thérapeutique et nécessite une double chélation parentérale (EDTA et BAL).

L’entourage

Tout diagnostic de saturnisme doit conduire à un dépistage de l’intoxication chez les sujets partageant le même environnement contaminant, notamment la fratrie.

L’environnement

Dès le repérage par les services compétents départementaux ou municipaux des sources d’intoxication, des mesures d’éviction doivent être prises, de façon plus ou moins radicales et urgentes en fonction de la gravité du cas et du contexte :
 éloignement de l’enfant et parfois relogement de la famille ;
 réhabilitation du logement en respectant pendant les travaux les procédures édictées par le ministère du logement car ces chantiers sont potentiellement très polluants ;
 des mesures palliatives simples et rapides à mettre en oeuvre sont souvent utiles dans l’immédiat (empêcher l’enfant d’accéder aux zones murales à risque en déplaçant un meuble par exemple).

Pour en savoir plus, consultez sur le réseau...
 Cas 1

  • Cas cliniques proposés sur le site ICONOCERF des enseignants français de radiologie (belle iconographie)

 Le saturnisme infantile

  • proposé par le Centre de Documentation en Santé Publique de la faculté St Antoine, Paris. Définition, historique et importante bibliographie.

 Le dépistage en France

  • proposé par le Réseau National de Santé Publique.

 Les mécanismes de la toxicité du plomb dans l’organisme

  • Page personnelle de Julien Cazorla

Bibliographie internationale actualisée (PubMed)

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