Grosse jambe rouge aux urgences

 mercredi 8 janvier 2020  |  Mars 2020  |  0 Commentaires
  Dr Delphine CANTIN , Dr Emeline FONTENOY

 1. MESSAGES IMPORTANTS

Dermo-hypodermite Bactérienne (DHB) non nécrosante
 Premier diagnostic à évoquer devant une grosse jambe rouge aux urgences au vue de sa fréquence ++
 Seule cause de grosse jambe rouge aigue fébrile
 Diagnostic le plus souvent clinique
 Essentiellement dûe au streptocoque B hémolytique du groupe A
 Rechercher et traiter les facteurs favorisants afin d’éviter récidive

Fasciite nécrosante et DHB nécrosante
 Mesures de réanimation
 Pronostic fonction du délai de la prise en charge chirurgicale des tissus nécrosés

Les examens complémentaires ne doivent pas retarder la prise en charge thérapeutique

 2. PHYSIOPATHOLOGIE

DHB non nécrosante (ancien érysipèle)
o Dermo-hypodermite bactérienne aigue non nécrosante, principalement due au Streptocoque pyogenes (= Streptocoque B hémolytique du groupe A), Streptocoque B/C/G possibles, Staphylocoque doré rarement
o 80% des cas : membres inférieurs
o Facteurs de risque :
- locaux : lymphœdème, insuffisance veineuse, intertrigo, ulcère de jambe, plaies cutanées
- généraux : obésité
o Associé à : adénopathie satellite sensible dans 50% cas voire une lymphangite dans 30% cas

DHB nécrosante, Fasciite nécrosante
o Nécrose des tissus profonds dépassant l’aponévrose superficielle avec possible atteinte fascias et muscles
o Germes en cause :
 Streptocoque pyogènes et non groupables, anaérobies : membres et localisations cervico-faciales
 Haemophilus influenzae : enfant avec atteinte cervico-faciale
 Si toxicomanie : Staphylocoque doré, Streptocoque pyogènes et non groupables, bactéries anaérobies
o Facteurs de risque mis en évidence : âge >50 ans, diabète, immunodépression, intoxication éthylique, toxicomanie, possible prise AINS

 3. TRI IAO

 Niveau 2 avec installation au déchoc : signes de choc, nécrose cutanée
 Niveau 2 : AEG, fièvre, comorbidités
 Niveau 3 : autre cas

 4. PRESENTATION CLINIQUE

DHB non nécrosante
 Placard inflammatoire érythémateux bien délimité, possible extension
 Apparition rapide en quelques heures à quelques jours
 Le plus souvent unilatérale
 Associée à un œdème, douleur et chaleur locale
 Souvent avec fièvre et signes infectieux
 Bourrelet périphérique si localisation face voire aspect aile de papillon
 Possibles décollements bulleux superficiels ou purpura en regard
 Porte d’entrée retrouvée dans 60% cas

DHB nécrosante, fasciite nécrosante
Idem + signes de sepsis sévère et nécrose cutanée

 5. PRISE EN CHARGE DIAGNOSTIQUE

A. ETIOLOGIES

La DHB non nécrosante est de loin l’étiologie la plus fréquente devant une grosse jambe rouge aux urgences.

Dermo-hypodermite infectieuse
o non nécrosante : Erysipèle
o nécrosante : Fasciite nécrosante, Gangrène gazeuse

Dermo-hypodermite inflammatoire sur insuffisance veineuse

B. CONSTANTES
Pouls, Fréquence cardiaque, Tension Artérielle, Température, Saturation pulsée en O2, Glycémie

C. INTERROGATOIRE
Afin d’orienter vers une dermo-hypodermite ou un diagnostic différentiel
Mode de vie
o Profession
o voyages récents, randonnées, animaux de compagnie
o prises de toxiques
o conduites sexuelles à risque
o vaccinations
Antécédents personnels
o comorbidités pouvant impacter la prise en charge (obésité, diabète, immunodépression)
o épisode identique dans le passé
o antécédent sur le membre concerné (chirurgie, morsure, ulcère, plaie, piqure, insuffisance veineuse…)
o traumatisme
Histoire de la maladie
o date du début
o délai d’installation
o éventuelle porte d’entrée
o signes locaux et généraux
o prise médicamenteuse

D. EXAMEN PHYSIQUE
Patient déshabillé
Aspect cutané
o membre atteint,
o atteinte uni ou bilatérale
o aspect et limite de l’érythème
o présence ou non de phlyctène ou autre collection
o éventuelle porte d’entrée (intertrigo, plaie, morsure, griffure, ulcère)

Orientation diagnostique
o Lymphangite
o adénopathie
o arthrite,
o perte du ballottement du mollet, cordon induré, signe de Homans

Signes de gravité
o Généraux : fièvre élevée, hypotension, pâleur, oligurie, tachypnée, tachycardie, désorientation, confusion
o Locaux : douleurs intenses résistantes aux antalgiques, bulles hémorragiques, œdème majeur, hypoesthésie, crépitation, lividité pré-nécrotique, nécrose cutanée

E. EXAMENS COMPLEMENTAIRES

 Si tableau typique d’érysipèle sans complication, pas besoin de réaliser des examens complémentaires.

 Si signe de gravité généraux ou locaux :
o Hémocultures si fièvre (positivité <10% cas)
o NFS, CRP
o CPK
o Gaz du sang artériel (pH, lactates)
o Ionogramme sanguin
o Urée, créatinine (Insuffisance rénale précoce si fasciite nécrosante)
o TP TCA
o Prélèvements bactériologiques locaux les plus profonds et « stériles » possibles (notamment au niveau de la porte d’entrée)
o Si doute sur TVP : Echographie Doppler (DDmères non discriminants)
o Si DHB nécrosante : IRM (évaluation profondeur des lésions) sans retarder la prise en charge thérapeutique

 6. DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS

 Thrombose veineuse profonde
 Eczéma
 Zona
 Lymphangite
 Infection ostéo-articulaire (pied diabétique, matériel d’ostéosynthèse)
 Morsure (Pasteurellose, Rouget de porc)
 Photodermatoses
 Rupture de kyste poplité
 Syndrome des loges
 Hématome
 Lymphoèdeme chronique
 Pied de Charcot
 Dermite inflammatoire
 Arthrite
 Algodystrophie

 7. PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE

A. MESURES COMMUNES
 Antalgiques :
o Privilégier le paracétamol comme antipyrétiques/antalgiques
o Anti-inflammatoires per os ou local contre indiqués
o Si pathologie chronique traitée par CTC ou AINS, poursuivre le traitement si indispensable + indication d’hospitalisation
 Repos avec membre surélevé (diminution œdème et douleur)
 Contention précoce
 Traitement anticoagulant préventif si facteurs de risque de maladie thrombo-embolique
 Correction des facteurs favorisants

B. DHB non nécrosante

 Antibiothérapie anti S. pyogenes, durée 7 jours :
o Amoxicilline 50mg/kg/j per os réparti en 3 prises quotidiennes (maximum 6g/jour)
o Si bulles/phlyctènes : ajout Clindamycine possible
o Si allergie à la pénicilline : Pristinamycine 1g 3 fois par jour ou Clindamycine 1,8g/j 3 fois par jour (maximum 2,4g/jour si poids >100 kg)
o Si hospitalisation et fébrile, traitement IV puis relai per os quand apyrexie : Amoxicilline (50 à 100mg/kg/24h IV en 3 administrations quotidiennes) ou Pénicilline G (12 à 24 millions UI/24h IV en 3 administrations quotidiennes)

 Chez l’enfant :
o Amoxicilline-Acide clavulanique : 80mg/kg/j d’amoxicilline en 3 prises (maximum 3g/j)
o Si allergie à la pénicilline et > 6 ans : Clindamycine 40mg/kg/j en 3 prises
o Si allergie à la pénicilline et < 6 ans, en suspension buvable : Sulfaméthoxazole-triméthoprime 30mg/kg/j en 3 prises

C. DHB nécrosante, Fasciite nécrosante
 Urgence médico-chirurgicale
 Avis spécialisé
 Traitement symptomatique de l’état septique
 Excision chirurgicale large et totale des tissus nécrosés (parfois quotidienne)
 Pansements biquotidiens
 Antibiothérapie probabiliste :
o membres ou localisations cervicofaciales : B lactamines + inhibiteur Blactamase (amoxicilline – acide clavulanique 2g/8H IV + clindamycine 600mg/8H IV)
o abdomen et périnée : B lactamine à spectre large de type uréidopénicilline (piperacilline/tazobactam 4g/500mg /8H IV +/- aminoside)
o si toxicomanie : Pénicilline M ou Glycopeptide + Gentamycine
 > Adaptation à l’antibiogramme avec maintien systématique d’un anti-anaérobies
 Oxygénothérapie hyperbare et Ig polyvalentes : utilisation controversée

 8. ORIENTATION/DEVENIR

A. RETOUR A DOMICILE (50% des cas) si DHB non nécrosante typique, sans signe de gravité ni comorbidité

B. HOSPITALISATION DERMATOLOGIE OU INFECTIOLOGIE OU MEDECINE INTERNE
 Si traitement IV
 Si nécessité d’une surveillance rapprochée (doute diagnostique, signes généraux marqués, risques de complication locale, comorbidités, contexte social difficile, échec traitement ambulatoire antérieur, mauvaise évolution après 72h de traitement)

C. HOSPITALISATION REANIMATION
 Si signe de choc
 Si nécrose cutanée

 9. SURVEILLANCE

 Paramètres vitaux
 Évolution de l’état cutané (délimiter les lésions à l’admission et surveiller l’extension + si apparition autres lésions cutanées)
 Recherche apparition de signes généraux

A. Évolution favorable de la DHB non nécrosante
• En 8 à 10 jours sous antibiothérapie dans 80% des cas.
• Apyrexie obtenue le plus souvent vers J3
• Amélioration des signes locaux le plus souvent vers J7.

B. Évolution défavorable de la DHB non nécrosante
• Complications locales (lésions profondes +/- nécrosantes ; 5 à 10% des cas) ou systémiques (<5% des cas)
• Reconsidérer l’antibiothérapie
• Éventuellement prise en charge chirurgicale
• Mortalité liée aux pathologies associées de l’ordre de 0,5%

C. Récidive de la DHB non nécrosante
• 20% des cas et souvent multiples pour un même malade.
• Favorisée par persistance ou récidive des facteurs ayant favorisés le premier épisode
• Prévention de la récidive indispensable dès le premier épisode (= corriger facteur favorisant)
• Si multiples épisodes (dès 2 épisodes dans l’année) ou facteurs favorisants non corrigeables alors antibiothérapie préventive prolongée (1 an) voire définitive par :
o Penicilline V 1 à 2 UI selon le poids en 2 prises quotidiennes per os
o ou Benzathine-Penicilline 2,4 UI par voie IM toutes les 2-4 semaines
o si allergie ou contre-indication aux injections IM : Azithromycine 250mg/j

D. Evolution DHB nécrosante, Fasciite nécrosante
• Pronostic déterminé par précocité de la chirurgie
• Séquelles trophiques post-chirurgicales très fréquentes = Chirurgie réparatrice dans un 2d temps fréquente
• Mortalité dans 30% des cas

 10. BIBLIOGRAPHIE

 Conférence de consensus. Erysipèle et fasciite nécrosante : prise en charge. Méd Mal Infect 2000 ; 30 : 241-5
 H.Guillot, O.Fain, Grosse jambe rouge aigue, La Revue du Praticien, Volume 66, 2016
 POPI, Erysipèle / Dermohypodermites bactériennes, maj juillet 2018
 POPI, Fasciite nécrosante, maj juillet 2018
 SPILF, Info-antibio n°85 Avril 2019

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