Complications aigües de l’adulte mucoviscidosique

Dr Jean-Christophe Allo (SAU Cochin), Drs Jeanne Chapron-Fouché et Pierre-Régis Burgel (Service de pneumologie Cochin)

 mardi 12 juillet 2011  |  Juillet 2011  |  0 Commentaires
  SAU Cochin - Hôtel Dieu

 MESSAGES IMPORTANTS

 L’histoire naturelle de la mucoviscidose peut comporter des complications aigües respiratoires (exacerbations respiratoires, hémoptysies, pneumothorax) et non respiratoires (syndrome occlusif, déshydratations aigües). Leur prise en charge doit se faire en concertation avec le patient qui connait souvent bien sa maladie, son entourage et les médecins du Centre de Ressources et de Compétences pour la Mucoviscidose

 Une admission en réanimation est justifiée en cas de complication sévère

Incidence des principales complications aigües chez les adultes mucoviscidosiques :

 L’amélioration de l’espérance de vie des patients atteints de mucoviscidose laisse présager d’une augmentation du nombre de patients admis pour des complications aigües

 L’atteinte respiratoire conditionne le pronostic

  • l’hypoxémie est un critère majeur de sévérité associé de manière indépendante à la mortalité
  • l’absence d’acidose respiratoire est faussement rassurante (les anomalies de transferts ioniques liées à la perte cutanée de sodium et de chlorure sont responsables d’une alcalose métabolique qui empêche la survenue d’une acidose respiratoire et la constatation d’un pH abaissé est d’une gravité particulière dans ce contexte)
  • le traitement de référence des hémoptysies graves consiste en l’embolisation artérielle bronchique
  • les pneumothorax, sauf ceux de volume minime, doivent être traités par drainage pleural percutané
  • une antibiothérapie ciblant les bactéries retrouvées sur les derniers examens cytobactériologiques des expectorations doit être débutée dans la majorité des cas quelque soit le type de complications respiratoire (prévient la dégradation de l’état respiratoire liée aux difficultés habituelles de drainage bronchique dans ces situations)
  • les posologies d’antibiotiques doivent être élevées et le choix est orienté par l’efficacité des AB administrés auparavant (l’antibiogramme est un mauvais prédicteur de l’efficacité clinique des AB)
  • en cas de défaillance respiratoire sévère, la ventilation non invasive doit être privilégiée et l’intubation ne doit être envisagée qu’en cas d’échec clinique de la ventilation non-invasive

 Le traitement du syndrome d’obstruction intestinal distal sera médical et l’intervention chirurgicale n’est habituellement pas indiquée.

 Une alimentation hypercalorique, un contrôle des hyperglycémies et un apport en enzymes pancréatiques par voie orale pour l’absorption des graisses (prévient la survenue d’une diarrhée) sont utiles dans tous les cas

 Les complications aigües survenant dans les suites d’une transplantation pulmonaire, relevant d’une prise en charge très spécifique, ne sont pas abordées

 1 & CONNAISSANCES PRATIQUES

 Pathologie d’origine génétique de transmission autosomique récessive liée à des mutations du gène codant pour la protéine CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), qui joue un rôle important dans le transport des ions chlorures à la surface des principaux épithéliums.
 Concerne environ 6000 personnes en France suivis pour la plupart dans l’un des 49 Centres de Ressources et de Compétences pour la Mucoviscidose (CRCM).
 La médiane de survie est à plus de 35 ans et 43 % des patients ont plus de18 ans (plus de 200 patients ont plus de 40 ans)
 La mucoviscidose comporte une atteinte respiratoire, le plus souvent associée à une atteinte pancréatique et parfois à une atteinte hépatobiliaire.
 L’impact des complications aigues survenant chez les adultes mucoviscidosiques dépend de la sévérité de la maladie à l’état basal et des caractéristiques de l’épisode aigu. L’existence d’une maladie respiratoire évoluée (VEMS <30% de la théorique, décroissance rapide du VEMS sur la dernière année, dépendance de l’oxygène ou de la ventilation non invasive), d’une dénutrition (indice de masse corporel inférieur à 18,5 kg/m2), ou d’un diabète sont des critères de sévérité de la maladie de base.
 L’atteinte pulmonaire qui conditionne le pronostic se caractérise par l’apparition progressive de dilatations des bronches associées à une infection bronchique chronique par des bactéries à Gram négatif (Pseudomonas aeruginosa, Burkholderia cepacia, Haemophilus influenzae, Achromobacter xylosoxidans, Stenotrophomonas maltophilia) et à Gram positif (Staphylococcus aureus).

  • l’évaluation de la sévérité respiratoire de l’épisode aigu repose sur les critères cliniques habituels (polypnée, tirage), une hypoxémie, la nécessité d’une oxygénothérapie à plus de 3 l/mn, des épisodes de désaturation aigue lors des efforts minimes. Une hypercapnie s’aggravant sur quelques jours est également un signe de gravité témoignant d’un épuisement respiratoire
  • l’acidose respiratoire, facteur majeur des exacerbations aigues de BPCO est très souvent absente même en cas d’hypercapnie aigüe car les anomalies de transferts ioniques liées à la perte cutanée de sodium et de chlorure sont responsables d’une alcalose métabolique qui empêche la survenue d’une acidose respiratoire. L’absence d’acidose respiratoire ne doit donc pas rassurer et la constatation d’un pH abaissé est d’une gravité particulière
  • la réalisation d’un examen cytobactériologique de l’expectoration (ECBC) rend non nécessaires des prélèvements sous fibroscopie.

 L’atteinte digestive comporte dans environ 80 % des cas une insuffisance pancréatique exocrine responsable d’une maldigestion des graisses, d’une malabsorption des vitamines liposolubles (vitamines A, D, E, K) et d’une dénutrition. L’atteinte pancréatique endocrine survient plus tardivement et un diabète insulino-nécessitant est retrouvé chez 20 à 40 % des adultes. L’atteinte hépatique par obstruction des canaux biliaires est fréquente et occasionnellement responsable d’une cirrhose.

 2 - TRI IAO

 En règle niveau 1 ou 2 selon le degré d’urgence vitale avec si possible installation rapide en box avec mesure de protection vis-à-vis des patients colonisés à BMR

 3 & PRISE EN CHARGE DES PRINCIPALES COMPLICATIONS CHEZ L’ADULTE MUCOVISCIDOSIQUE

 4 & PRISE EN CHARGE COMPLICATIONS RESPIRATOIRES CHEZ L’ADULTE MUCOVISCIDOSIQUE

A. Exacerbation respiratoire

 Les exacerbations respiratoires surviennent habituellement plusieurs fois par an chez les adultes atteints de mucoviscidose

  • elles sont caractérisées par une majoration de l’encombrement bronchique, du volume des expectorations et éventuellement de la dyspnée
  • il s’y associe fréquemment des signes généraux (asthénie, amaigrissement, anorexie)
  • la fièvre est inconstante et le plus souvent absente
  • l’hyperleucocytose et l’élévation de la CRP sont souvent modérées voire absentes
  • la cause principale des exacerbations semble être une majoration de l’infection respiratoire chronique en particulier chez les patients infectés de façon chronique par P. aeruginosa.
  • des facteurs précipitant une exacerbation sont parfois retrouvés (interruption des thérapeutiques, infection virale, aspergillose broncho-pulmonaire allergique)

 L’antibiothérapie est un élément fondamental du traitement des exacerbations respiratoires et doit être précoce et systématique

  • les souches retrouvées pendant une exacerbation ne sont pas différentes des souches habituelles du patient
  • l’antibiogramme n’a que peu d’intérêt pour les bactéries isolées dans les expectorations chez les patients mucoviscidosiques.
  • le meilleur critère de choix d’un antibiotique anti-Pseudomonas chez le patient mucoviscidosique est la connaissance de son efficacité antérieure chez ce patient. En l’absence de cette donnée, les bêtalactamines le plus souvent utilisées sont la ceftazidime, l’imipenem ou le méropenem et l’association pipéracilline/tazobactam.
  • l’efficacité clinique optimale est obtenue par l’association avec un aminoside, en particulier la tobramycine.
  • par extension, ces associations d’antibiotiques sont fréquemment utilisées pour le traitement des autres bacilles à Gram négatif retrouvés chez les patients mucoviscidosiques (S. maltophilia, A. xylosoxidans, B. cepacia)
  • en raison d’une clairance augmentée des antibiotiques chez les patients mucoviscidosiques, les posologies des antibiotiques doivent être supérieures à celles utilisées habituellement
  • modalités d’administration et les posologies des principaux antibiotiques ciblant les bacilles à Gram négatif :

 A noter :

  • une d’aspergillose broncho-pulmonaire allergique est évoquée en cas d’hyperéosinophilie, d’élévation des IgE totales et des IgE spécifiques anti-aspergillaires, et d’antécédents d’ABPA. Le traitement repose alors sur la corticothérapie systémique à 1 mg/kg/jour d’équivalent prednisone éventuellement associée à un traitement par itraconazole
  • La rhDNAse, qui diminue la viscosité des sécrétions bronchiques en dégradant l’ADN présent en quantité importante dans ces sécrétions, est souvent prescrite en traitement de fond chez les patients atteints de mucoviscidose car elle diminue la fréquence des exacerbations. Cette thérapeutique peut être poursuivie lors des exacerbations, mais il ne semble pas exister de bénéfice à l’introduire pendant une exacerbation chez un patient n’ayant pas ce traitement au long cours.

B. Hémoptysie

 La gravité de l’épisode aigu est liée à l’abondance de l’hémoptysie et à l’altération de la fonction respiratoire à l’état basal

  • les hémoptysies de faible abondance bien tolérées (expectorations teintées de sang, vol <5 ml) sont fréquentes et ne nécessitent habituellement pas d’hospitalisation.
  • les hémoptysies massives (extériorisation aigüe de plus de 240 ml de sang en 24 heures) sont plus rares et nécessitent une hospitalisation le plus souvent en réanimation

 Particularités de la prise en charge des hémoptysies graves chez les adultes mucoviscidosiques :

  • la localisation précise du saignement apparait moins importante chez les patients atteints de mucoviscidose que dans d’autres étiologies. La fibroscopie bronchique n’est pas recommandée dans ce contexte
  • il est souvent réalisé une embolisation bilatérale de toutes les artères anormales et non une embolisation ciblée sur la zone de saignement.
  • la visualisation des zones de dilatation des bronches les plus importantes sur un scanner sans injection de produit de contraste peut aider à localiser le saignement, mais l’utilité de réaliser un nouveau scanner en urgence si l’on dispose des résultats d’un scanner antérieur reste à démontrer

 Le traitement de référence des hémoptysies massives (>240ml/j ou >100ml/j plusieurs jours de suite) et/ou mal tolérées est l’artériographie avec embolisation sélective des artères bronchiques après passage en réanimation

  • l’embolisation artérielle bronchique est le plus souvent bilatérale et concerne toutes les artères morphologiquement anormales,
  • en cas de non disponibilité rapide de l’embolisation bronchique chez un patient ayant présenté une hémoptysie massive, les vasoconstricteurs administrés par voie intraveineuse (terlipressine, Glypressine*) peuvent être indiqués en attendant l’embolisation.
    • la posologie qui est de 1 à 2 mg en IVD en fonction du poids et un délai de 4 à 8 heures doit idéalement être respecté avant de réaliser l’embolisation car la visualisation des vaisseaux pathologiques risque d’être gênée par le vasospasme.
  • la chirurgie d’hémostase ne doit être envisagée qu’en dernier recours thérapeutique,

 Un consensus existe sur la nécessité de débuter une antibiothérapie chez tous les patients ayant eu une hémoptysie≥5ml (l’infection bactérienne favorise la survenue d’hémoptysies)

 Il est habituellement recommandé de suspendre quelques jours les antibiotiques nébulisés (colimycine, tobramycine), la rhDNAse nébulisée et le sérum salé hypertonique nébulisé

C. Pneumothorax

 Complication classique mais relativement rare
 Survient principalement chez les sujets adultes, d’autant plus que l’atteinte pulmonaire est évoluée (VEMS abaissé, infection chronique par P. aeruginosa ou B. cepacia)

 Le traitement de référence des pneumothorax de grande taille est le drainage thoracique percutané et l’exsufflation simple n’est pas indiquée

  • en cas de pneumothorax partiel de petite taille, le choix entre une simple observation et un drainage thoracique se fait au cas par cas
  • une antibiothérapie adaptée à l’infection bactérienne pulmonaire chronique est indiquée pour accompagner le drainage
  • poursuite de la kinésithérapie respiratoire (certaines techniques instrumentales de drainage bronchique sont contre-indiquées) et des traitements nébulisés
  • la ventilation non-invasive est possible sans complication identifiée chez les patients ayant un pneumothorax dès que celui-ci est drainé d’autant que le patient est sévère et dépendant de la VNI

 5 & SYNDROME OCCLUSIF

 Le syndrome d’obstruction intestinale distale (SOID)

  • entité spécifique à la mucoviscidose (stéatorrhée mal contrôlée)
  • impaction d’une masse muco-fécale dans l’iléon terminal et le cæcum
  • tableau associant douleurs abdominales, ralentissement du transit, voire syndrome occlusif, et sur l’ASP présence d’une stase stercorale en fosse iliaque droite avec distension du grêle
  • diagnostic différentiel parfois difficile notamment chez les patients ayant des antécédents de chirurgie abdominale (iléus méconial opéré, appendicectomie) avec une occlusion sur bride
  • si la TDM permet le diagnostic et d’écarter les diagnostics différentiels, l’examen de référence est le lavement à la Gastrograffine® diluée. Il permet non seulement le diagnostic, mais aussi à la levée de l’obstruction dans environ 90 % des cas (le recours à la chirurgie est exceptionnel)
  • en l’absence d’arrêt total du transit, le traitement doit être médical et non chirurgical, réalisé par voie orale, par l’ingestion de polyéthylène glycol (PEG), ou par un lavement rectal au PEG ou à l’aide de produits radio-opaques hydrosolubles (Gastrograffine®)
     Le traitement préventif des rechutes de SOID consiste à adapter les doses d’enzymes pancréatiques gastroprotégées et à assurer une bonne hydratation. Chez le patient sédaté l’absence de selles doit conduire à l’administration quotidienne de PEG (y compris par l’intermédiaire de la sonde nasogastrique)

 5 & DESHYDRATATION AIGUE

 Les déshydratations aigües liées à un syndrome de perte de sel sont très classiques chez l’enfant mais de reconnaissance plus récente chez l’adulte. Lors de la canicule de l’été 2003, plusieurs cas sévères de déshydratation aigüe, dont un mortel, ont été décrits chez des adultes mucoviscidosiques en France

  • l’émission d’une sueur abondante et riche en sodium et une altération de la sensation de soif s’associent pour provoquer la déshydratation
  • diagnostic évoqué devant tableau clinique associant altération de l’état général, signes digestifs (nausées, vomissements), perte de poids rapide, crampes, perte de la sensation de soif, céphalées et plus rarement fièvre pouvant aller jusqu’à l’hyperthermie maligne
  • biologie : hyponatrémie, hypokaliémie, hypochlorémie et insuffisance rénale fonctionnelle (tableau de déshydratation extracellulaire et hyperhydratation intracellulaire).
  • la réhydratation avec du sérum salé isotonique permet la correction de ces désordres métaboliques
  • la prévention des épisodes de déshydratation en cas de forte chaleur repose sur des apports hydriques réguliers et une majoration des apports de sodium

 6 - ORIENTATION

 La prise en charge des patients atteints de mucoviscidose est le plus souvent ambulatoire. La réalisation de cures d’antibiotiques intraveineuses dans le cadre d’exacerbations respiratoires modérées est possible au domicile. Elle peut-être organisée à partir des urgences avec l’aide de l’équipe référente.

 L’hospitalisation reste néanmoins nécessaire pour assurer un traitement optimal et sa surveillance en particulier chez les patients ayant une insuffisance respiratoire évoluée

 Une admission large des patients en réanimation pour le traitement des complications aigües sévères (hémoptysies massives, pneumothorax mal tolérés, SOID mal toléré, déshydratation sévère) et des insuffisances respiratoires aigües doit être envisagée

 Dans tous les cas, les décisions thérapeutiques doivent être prises en concertation avec le patient et son entourage, ainsi qu’avec l’équipe soignante du CRCM. 

 7 - BIBLIOGRAPHIE

 Chapron J, B Zuber, R Kanaan, D Hubert, N Desmazes-Dufeu, JP Mira, D Dusser, PR Burgel. Prise en charge des complications aigues sévères chez l’adulte mucoviscidosique. Revue des maladies respiratoires 2011
 O’Sullivan BP, Freedman SD. Cystic fibrosis. Lancet 2009 ; 373:1891-904.
 Flume PA. Pulmonary complications of cystic fibrosis. Respir Care 2009 ; 54:618-27.
 Texereau J, Jamal D, Choukroun G, Burgel PR, Diehl JL, Rabbat A, Loirat P, Parrot A, Duguet A, Coste J, Dusser D, Hubert D, Mira JP. Determinants of mortality for adults with cystic fibrosis admitted in Intensive Care Unit : a multicenter study. Respir Res 2006 ; 7:14.
 Burgel PR, Kanaan R. Pseudomonas aeruginosa multirésistants dans la mucoviscidose. Rev Mal Resp 2010 ; 27:411-3.
 Flume PA, Mogayzel PJ, Robinson KA, Rosenblatt RL, Quittell L, Marshall BC, and the Clinical Practice Guidelines for Pulmonary Therapies Committee. Cystic fibrosis pulmonary guidelines : pulmonary complications : hemoptysis and pneumothorax. Am J Respir Crit Care Med 2010 ; 182:298-306.

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